Douce chaleur de printemps. Des amis m’ont conduit dans un petit village wallon proche de la frontière française. Les volutes blanches de la centrale nucléaire de Chooz déchirent le ciel d’azur. Nous sommes au pied d’une éolienne. Elle surplombe la vallée de Beauraing et s’intègre au paysage. Elle est le fruit d’une action citoyenne, la mise en œuvre d’une société coopérative dans laquelle chaque habitant a pris une part. Le village est devenu autosuffisant puis exportateur d’électricité. Pas de redistribution des bénéfices mais une réduction de la facture énergétique pour chaque ménage. Une association d’éducation populaire aussi. Pour les enfants. « Allons s’en vent ! » Une initiation pédagogique aux bienfaits des énergies renouvelables et du développement durable. La visite s’achève. Un barbecue est dressé au milieu des champs. Dialogues fraternels autour d’une merguez. Bientôt il faut regagner la ville. Je rêve. Démocratie citoyenne, participative, économique et pédagogique. Pour une énergie propre. Et si ce petit microcosme était un modèle pour le monde entier ?
« Le temps n’est plus à se lamenter sur les catastrophes écologiques. Ni à imaginer que, à lui seul, l’essor des technologies pourrait y porter remède. Le sursaut salvateur ne peut venir que d’un immense bouleversement de nos rapports à l’homme, aux autres vivants, à la nature » Edgar Morin.
Ce programme vertigineux qui traverse l’éthique, le politique et l’économie, se ramasse dans la formule d’une nouvelle politique de civilisation. C’est, je crois, l’enjeu cardinal de notre siècle qui s’ouvre : concilier la lutte contre les inégalités abyssales entre les êtres humains avec la survie physique de la planète. Conjuguer la solidarité entre les hommes et les peuples, dans nos quartiers et au-delà des mers et des sables, avec le respect des écosystèmes. Harmoniser le développement, si rare encore, du bien-être pour tous les terriens avec la finitude des ressources naturelles. S’engager, comme l’écrit Laurence Tubiana, pour un « changement nécessaire tellement profond qu’on se dit qu’il est inimaginable ! ».
« Que voulons-nous ? Un capitalisme qui s’accommode de contraintes écologiques ou une révolution économique, sociale et culturelle qui abolit les contraintes du capitalisme et, par là-même, instaure un nouveau rapport des hommes à la collectivité, à leur environnement et à la nature. » André Gorz.
Malgré l’éveil des consciences qui s’amplifie, nous en sommes bien loin. Les dogmes de la croissance économique, de la productivité, de l’accumulation souvent insensée des biens, du moins dans nos contrées prospères et pour les classes dominantes, comme seul horizon du bonheur de l’homme, ont colonisé nos imaginaires. Marchandisation du monde. Réification absolue de l’humain, même de nos sentiments les plus intimes, les plus indicibles. Triomphe du capitalisme financier, vautour vorace qui engloutit peuples et continents. Poches de résistances aussi, rebellions et mutineries qui récusent ce nouvel ordre du monde. Des alters aux nouveaux mouvements sociaux, des luttes syndicales aux partis de gouvernement, dans la rue ou dans les conseils des ministres, les poings de la contestation et du refus de l’ordre libéral se lèvent.
Réenchanter le monde écrit Bernard Stiegler : « Nous, les humains du début du XXIe siècle, nous savons qu’il nous faut devenir plus lucides, plus spirituels et plus responsables que jamais, et nous savons en même temps que jamais l’humanité n’a été aussi aveuglée, abrutie et irresponsable. Nous le savons parce que nous constatons que presque toute la vie sociale est désormais contrôlée par l’industrie des temps de cerveaux disponibles qui détruit la conscience individuelle et collective ».
Les valeurs du socialisme sont d’une éternelle actualité. Face aux océans de détresse et de souffrances, aux pénuries, aux disettes, à la précarité, aux peuples qui se noient, à des pans entiers de continents à la dérive, la justice, la solidarité, la fraternité, le bien public, l’intérêt général, l’action collective demeurent les vertus centrales de mon engagement. Malgré les trahisons et les tiédeurs, malgré les compromis ou les compromissions, le socialisme c’est avant tout les combats de Jean Jaurès et de Léon Blum, les résistances de Salvatore Allende et de Thomas Sankara, d’Olof Palme et de Willy Brandt, le courage de tous ces militants anonymes, les damnés de la terre, mineurs, ouvriers, paysans qui depuis plus de deux siècles combattent pour une société plus juste et plus fraternelle. Je veux dire ici la chance que j’ai eu de croiser le chemin de Philippe Moureaux et de Laurette Onkelinx, de travailler à leurs côtés, de contribuer aux valeurs socialistes qu’ils défendaient avec acharnement et avec une profonde conviction. Dire ici aussi mon amitié, politique et bien au-delà, pour Yvan Mayeur, compagnon de route et d’espoirs d’un long bout de ma vie !
« L’écologie est subversive car elle met en question l’imaginaire capitaliste qui domine la planète. Elle en récuse le motif central, selon lequel notre destin est d’augmenter sans cesse la production et la consommation. Elle montre l’impact catastrophique de la logique capitaliste sur l’environnement naturel et sur la vie des êtres humains ». Cornélius Castoriadis.
Tenter de penser sa vie et de vivre sa pensée comme l’exprime joliment André Comte Sponville. Le programme d’une brève existence. Tendre à la cohérence entre le faire et le dire. Suivre le chemin escarpé, pavé de contradictions, entre un idéal, une utopie, une écosophie et la prosaïque réalité de l’ici et maintenant, le pragmatisme de la lutte politique, les indignations parfois trop chuchotées ou les émerveillements de circonstance. Eloge de l’engagement. Sculpture de soi comme modeste acteur et non spectateur du monde. Quête de densité, dans le piano et la philosophie, dans le bonheur d’être aux côtés de ceux dont on ne parle pas. Recherche de cet éco-socialisme, si loin de la fumée de l’écologie de marché ou du capitalisme vert, si loin aussi du cristal du rêve prométhéen de l’homme totalement maître du destin de la terre.
« En voulant domestiquer la nature, nous avons provoqué des modifications qui vont en s’amplifiant. La vitesse de ces changements risque d’être bien trop rapide pour que les êtres vivants puissent s’adapter. Jusqu’à quel point saurons-nous nous-mêmes faire face ? » Dominique Bourg.
Le travail parlementaire, que j’ai eu la chance de pouvoir effectuer, s’est révélé passionnant, patient, tantôt décevant, tantôt exaltant. Les interpellations, le plus souvent vaines, d’un Ministre de l’Intérieur peu sensible au drame des sans-papiers, des exilés, des réfugiés. La fierté d’avoir initier l’inscription du développement durable dans la Constitution. Le questionnement systématique sur le plan d’accompagnement des chômeurs ou l’application du protocole de Kyoto. Toutes les propositions de loi qui n’ont pu se concrétiser faute de majorité parlementaire : la récupération des aides publiques à Volkswagen, la régularisation des sans papiers, l’octroi de moyens complémentaires aux chômeurs particulièrement précarisés, une commission d’enquête parlementaire sur Clearstream, l’amplification de la taxation des plus-values boursières. Les témoignages aussi, bien dérisoires face à l’oppression et à la misère : les territoires occupés en Palestine, l’espoir vénézuélien d’Hugo Chavez, les tentatives démocratiques au Congo, ou l’histoire tragique du Cambodge.
« Il semble bien que nous vivions la sixième extinction des espèces. Celles-ci (végétales et animales) disparaissent en effet, à la vitesse de cinquante à deux cents par jour, soit un rythme de 1.000 à 30.000 fois supérieur à celui des hécatombes des temps géologiques passés » Serge Latouche. « De mémoire de glaces polaires, une telle cadence n’a pas d’équivalent » Jean-Paul Besset.
Face à l’ampleur gigantesque des défis, il serait futile et frivole de renoncer. Le socialisme, par l’histoire de ses combats et par sa farouche volonté de solidarité et de justice, est un puissant porteur d’espérances. Et tous ceux, humiliés, rejetés, marginalisés, précarisés, que la tourmente aveugle du capitalisme a brisé, en ont un besoin vital. L’écologie sociale, par sa remise en cause radicale du modèle des thermo-industries qui domine l’Occident depuis plus de deux siècles, nous condamne à imaginer une nouvelle politique de civilisation.
Puisse la magnifique expérience des éoliennes de Mesnil l’Eglise, symboliser l’horizon collectif de l’exceptionnelle aventure humaine !
Gratitudes : mes réflexions et mes engagements se sont nourris, depuis des années, des pensées d’écrivains, de savants et de philosophes dont tout particulièrement Edgar Morin (L’an I de l’ère écologique, et dialogue avec Nicolas Hulot, Tallandier, 2007 ; Pour une politique de civilisation, Arléa, 2002), André Gorz (Capitalisme, socialisme, écologie, Galilée, 1991), Serge Latouche (Le pari de la décroissance, Fayard, 2006), Cornélius Castoriadis (L’écologie contre les marchands, Seuil, 2005), Bernard Stiegler (Réenchanter le monde, La valeur esprit contre le populisme industriel, Flammarion, 2006), Dominique Bourg (Le développement durable, Maintenant ou jamais, Gallimard, 2007), Hubert Reeves (Chronique des atomes et des glaxies, Seuil, 2007).